Article de Presse
La lutte chinoise tente une percée dans le maquis des arts martiaux
A l'occasion du 4e tournoi international de Paris, regard sur cette discipline peu connue mais qui peut être pratiquée par tous.
LA légende veut que le Shuai Jiao (prononcer Chuai Tiao) ou lutte chinoise remonte à l'Empereur jaune. Un empereur mythique s'il en est puisqu'il est le fondateur de l'empire chinois bien avant la première dynastie connue, les Xia (du XXIe au XVIe siècle avant Jésus-Christ). Son origine n'est probablement pas aussi ancienne, mais ceux qui le pratiquent ont raison de dire qu'il est l'un des arts martiaux à la base de tous les autres.
On peut résumer les arts martiaux chinois à quatre techniques connues sous le nom de "Da, Ti, Na, Shuai", autrement dit "boxer, frapper (avec le pied), saisir, projeter". Des techniques de poing et de pied sont nées, ce que nous connaissons sous le nom de Gong Fu ou Kung-fu, les deux autres techniques, saisies et projections, ont donné naissance à la lutte chinoise. Un chengwu ou adage très célèbre en Chine résume d'ailleurs les deux pratiques et leur grande différence : "Yuan da, jin Shuai" (loin on frappe, près on projette).
"La lutte chinoise, c'est un peu comme le ruban qu'on utilise en gymnastique rythmique et sportive, précise d'emblée Gilbert Tchen, professeur d'arts martiaux chinois. Des enchaînements, des changements continuels de direction mais sans pour autant qu'il y ait cassure. Le ruban se plie au mouvement. C'est toute la technique du Shuai Jiao : se plier au mouvement." Un art difficile, complet, qui ne s'acquiert pas en quelques mois.
D'ailleurs la démarche du Shuai Jiao s'apparente beaucoup à celle du Tai-Ji-Quan dans lequel on retrouve "la même utilisation des principes de souplesse et de circularité des techniques". Un rapprochement qui tient beaucoup à céur à Yuan Zumou, le seul maître à enseigner la lutte chinoise en France : "C'est parfois difficile de faire comprendre ce que sont les arts martiaux à des Occidentaux. Pour vous, c'est avant tout un combat, pour nous c'est un art. Une technique qui peut être mise au service de la guerre mais ce n'est pas le but premier. Pour nous c'est une pratique d'hygiène de vie et une manière d'être."
"Il est plus facile de frapper et de recevoir que d'esquiver, de repousser, de saisir, de projeter, note encore Me Yuan. Et de souligner combien le Shuai Jiao est avant tout un art "de l'esquive, de l'utilisation de la force de l'adversaire, un art qui allie vitesse et habileté pour oublier l'emploi de la force brute". La moitié de l'équipe américaine qui était présente ce week-end au 4e tournoi international de Paris vient ainsi du Gong Fu. Et Yuan Zumou a entrepris d'enseigner la lutte chinoise à des personnes âgées qui trouvent là "un grand plaisir à redécouvrir leur corps, les possibilités qu'il offre, dont celle de terrasser un adversaire".
En France, le Shuai Jiao est encore peu connu et peu développé et le tournoi international de Paris à la Halle Carpentier n'a pas rassemblé une foule immense. Pourtant, pour le spectateur même néophyte, cette lutte corps à corps prend vite un grand attrait parce qu'elle est très spectaculaire : "C'est un peu ce qui m'a attiré vers ce sport", explique Christophe, tout jeune membre de l'équipe de France. "J'ai tout de suite apprécié son efficacité, son côté physique qui n'est pas évident pour qui n'a jamais pratiqué. Mal utilisé, cela peut être même très violent puisque pour le battre, on peut projeter l'adversaire, le balayer ou le crocheter. Il faut tout faire pour le déséquilibrer."
En France depuis douze ans, Me Yuan Zumou n'a pas encore réussi à faire sortir la lutte chinoise de son anonymat. Il y a aujourd'hui un peu moins de trois cents pratiquants en France alors qu'elle est très développée en Chine bien sûr, en Mongolie, à Taiwan et dans toute l'Amérique du Nord. "Il faut du temps, de la patience", dit-il, citant un proverbe chinois, il affirme : "Yi mu bu shi lin" ("Un arbre n'est pas la forêt").
La lutte chinoise souffre encore d'une image trop policée comme le Tai-Ji-Quan. "Les jeunes qui viennent me voir préfèrent d'emblée des arts réputés plus violents comme le Gong Fu mais une fois qu'ils ont saisi ce que pouvait être la lutte chinoise, ils changent d'avis. Et pour cause, en Chine, le Shuai Jiao est reconnu pour sa grande efficacité. Il est ainsi très utilisé par les pratiquants de Gong Fu. D'ailleurs, un précepte chinois n'affirme-t-il pas : "San nian quan bu dao yi nian shuai" ("Trois années de boxe ne valent pas une seule année de lutte") ?
DONATIEN SCHRAMM.
(Article paru dans l'édition du 14 décembre 1998.)